Elle
Ceci est un vieux billet, un très vieux billet de l’époque où je commençais tout juste à bloguer, vers la fin de l’an de grâce 2011. J’ai lu il y a peu, ce billet de Marie Kléber et j’ai eu envie de rééditer mon texte de l’époque. Un peu parce que je crois que je veux qu’il soit quelque part, aux yeux de tous. Pas pour m’en affliger, même si je ne vous mentirais pas on ne sait guérir de ses rêves brisés, mais pour se souvenir.
Pour autant que je me souvienne, mon envie d’être père remonte à mon adolescence. Épisodiquement, je rêvais de l’être, même si je n’ai jamais réellement su l’expliquer. Peut-être étais-ce pour avoir la chance d’accompagner une nouvelle vie ? Peut-être pour pouvoir partager le fruit de mes expériences ? Pour que la magie vive encore ? Par amour ? Sûrement un peu de tout ça !
Durant la fin de l’été 2007, ma femme – dont je suis aujourd’hui séparé depuis plusieurs années – m’annonça qu’enfin ce rêve prenait forme : j’allais être père. Mon bonheur fut absolu, je flottais littéralement au-dessus du sol.
Pour divers raisons un peu hors de propos ici et que je n’évoquerais que légèrement – décès, déménagement, trahison amicale, abandon familiale – elle ne pu pratiquer rapidement les examens médicaux nécessaire, dont la première échographie. Pendant ce temps là, elle s’arrondit, je lui caresse le ventre et mon enfant me répond en me donnant quelques coups de pieds.
La première échographie arriva enfin, après s’être fait réprimander par la gynécologue. Ce fut le moment le plus étrange que j’ai connu. L’échographe plaisantait avec nous, traitant avec légèreté les retards d’analyse pendant que les premières images arrivaient. Selon nos souhaits, il nous informa du sexe de l’enfant, c’est une fille. Mon bonheur total devient un bonheur intégral. Ai-je omis de dire que j’ai toujours souhaité une fille ?
Puis le silence, glaciale. Il a continué à prendre des clichés et des mesures. Mais il ne plaisantait plus. Il gardait le silence. J’avais vu, je savais. Je savais ce qu’il a vu. Elle était mal-formée : ses avant-bras étaient trop courts, de moitié ; ses mains « en coup de vent« , d’autres spécialistes débâteront par la suite du sens du vent…
Nous avons été envoyés à l’hôpital Robert-Debré, pour rencontrer des spécialistes. En grande quantité. Je ne m’attarderais pas trop sur ces gens, je dirais juste qu’ils ont tous été charmants, efficaces, rassurants mais aussi réalistes.
Nous avons fait que ce que tous les parents auraient fait j’imagine. Nous avons écouté les médecins. Quand son enfant est malade, on le soigne, c’est notre devoir de parents, non ? Toutes les solutions furent passées en revue : ne rien faire car après tout le cerveau se forme avec les malformations et sait donc fonctionner avec ; la chirurgie même si cela n’aurait pas tout résolu… Mais surtout des analyses, encore et toujours plus d’analyses. Dans tout les cas, nous l’aimions déjà, telle quelle.
Après un nombre incalculables d’échographies, de prises du liquide amniotique, de prises de sang, ils discutèrent longuement. Peut-être deux semaines ou trois, je ne sais plus. À partir de ce point, les dates m’échappent, j’ai l’impression d’avoir toujours vécu dans cet hôpital. J’en connaissais les moindres couloirs du service où nous étions, les menus du self, les médecins, les infirmières…
Ma femme est désormais enceinte de huit mois.
Puis finalement, la nouvelle tomba. Il s’agissait d’une maladie génétique très rare transmise par les parents, les malformations n’en étaient qu’un symptôme. Nous furent abattus. Elle etait condamnée. Elle n’avait qu’une chance sur quatre d’être malade. Sachant que cette maladie est rare, il était déjà improbable que ses parents se rencontrent en l’ayant. Encore moins pour qu’il porte exactement la même, avec les mêmes gènes défectueux.
Nous rencontrons encore des médecins, on nous explique en détails en quoi consiste la maladie, la durée de vie du bébé, ce qu’elle va endurer. On nous propose enfin une IMG (interruption médicale de grossesse). Nous acceptons.
Peu de temps après, hospitalisation de ma femme. Après que les médecins aient prit soins d’arrêter le cœur du bébé, l’accouchement a lieu. Adieu, ma fille.
Je ne remercierais jamais assez les sages-femmes et la généticienne pour leur soutien, c’est plus que ce qu’un homme peut recevoir dans une maternité. Je continue à maudire les lois Française et l’administration qui m’interdirent de lui transmettre mon nom, la seule chose que je pouvais encore lui donner.
Le lendemain, nous nous rendons à la morgue pour la voir. Nous pleurons. Je n’avais jamais imaginé le mal qu’on pouvait ressentir dans ces instants là mais c’est puissant. J’ai pleuré longtemps, pour toute une vie, et n’ai d’ailleurs jamais réellement cessé encore.
Aujourd’hui, elle repose dans le cimetière de ma ville.
Elle s’appelait Lucie.